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De l’addiction à une liberté assumée

par Nathalie Casabo

gestalt thérapeute, alcoologue

Les Portes de la Mer, Guidey, VANOSC
04 75 32 14 04 / 06 80 42 82 80
nathalie.casabo@orange.fr

www.lesportesdelamer.com

Nathalie Casabo (voir sa fiche), est une gestalt-thérapeute installée maintenant à Vanosc. Elle s’est spécialisée dans l’alcoologie. Elle livre ici les réflexions inspirées de son expérience d’une quinzaine d’années de thérapies.

 

1. Du plaisir à l’addiction

Au départ, il y a la rencontre entre un individu, un produit ou un comportement à un instant T, qui procure du plaisir, ou, a minima, un mieux-être, et qui nous enjoint à poursuivre cette quête.

La dépendance peut être immédiate, comme c’est parfois le cas avec l’héroïne ou le tabac, dès les premières prises, ou s’installer progressivement comme pour l’alcool ou le cannabis par exemple, qui prennent généralement plusieurs années.

Le phénomène d’accoutumance pour les produits ingérés (médicaments, drogues légales ou illégales, y compris le sucre!) fait que les prises deviennent toujours plus importantes pour obtenir le même effet. Et alors le plaisir ou le mieux-être diminuent pour laisser place à une souffrance que la prise vient soulager. Au bout d’un moment, cela conduit à diverses maladies voire à la mort. Plus on commence tôt, plus on a des chances de devenir addict puisque l’on se construit avec ces « béquilles ».

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’addiction aux jeux, au sexe ou aux écrans produit les mêmes effets de « craving » (envie irrépressible de renouveler le comportement ou la prise du produit), C’est une perte de contrôle progressive malgré les conséquences négatives et l’envahissement des comportements addictifs…

La vie quotidienne finit par s’organiser complètement autour du produit ou du comportement, qui ponctue et qui structure la journée, au détriment d’autres activités. Et la vie va en se rétrécissant: isolement, marginalisation, stigmatisation, perte de créativité…

En effet, dans tous les cas, (qu’il y ait un produit ingéré ou non, mais d’autant plus quand il y a absorption de produits), c’est le circuit de la récompense, le système de neurotransmission dopaminergique qui est sollicité et qui « s’emballe ».

 

2. Les causes de base

Elles sont difficiles à identifier/isoler dans la mesure ou toutes les addictions sont multifactorielles, « biopsychosociales » et nous sommes inégaux face à ces risques qui nous concernent tous.

Toutefois, la question du sens de la vie reste centrale. Un sentiment de vide ou de mal-être, les peurs ou les traumatismes exacerbent l’angoisse existentielle (nous sommes tous destinés à mourir…) à laquelle on tente d’échapper.

Autre facteur: par exemple, 80% des femmes alcooliques ont subi dans le passé des attouchements ou des viols…

L’addiction est également importante chez les soldats revenus des champs de bataille. Et l’alcoolisme a augmenté avec l’industrialisation, chez les ouvriers, les mineurs…

Par ailleurs, le recours à un produit ou à un comportement est une facilité qui économise un effort: c’est plus rapide de prendre un médicament, un verre ou une cigarette que de prendre le temps de se détendre, d’aller se promener, d’endurer la solitude par exemple, ou de remettre sa vie en question. Mais cela n’est pas toujours possible sur le moment.

L’addiction est une pathologie du lien qui fait aussi l’économie de la confrontation à l’autre: la bouteille ou la seringue sont toujours disponibles et ne vont pas vous trahir.

 

3. Des conditions pour s’en sortir

Pour s’en sortir, il faut d’abord dépasser le déni: admettre qu’on est devenu dépendant. Il faut un certain courage ou un grand désespoir…

Deuxièmement, il faut avoir envie d’en sortir. Et c’est souvent difficile, car l’espoir de perdre les inconvénients et de retrouver la santé ne suffit pas toujours, surtout lorsque cela fait des années et des années que les produits ou les comportements nous ont permis de survivre. Un renforcement de la motivation est souvent nécessaire.

Il faut aussi arriver à regarder les gains et les pertes que le produit ou le comportement ont apporté: les cadeaux et les chaos. Et pour le futur, face à l’abstinence envisagée, qu’est-ce que je crains et qu’est-ce que j’espère? Que puis-je changer dans ma vie pour me procurer du plaisir autrement?

Ensuite, il faut passer par la désintoxication, qui dépend de la nature de l’addiction. La désintoxication physique est généralement assez rapide (sauf pour les médicaments). À noter quand même que pour l’alcool, il faut prendre des précautions, car un sevrage peut provoquer des réactions mortelles.

Mais surtout il y a la dépendance psychique, qui est la plus importante. Et pour cela un accompagnement psychothérapeutique est la plupart du temps nécessaire.

4. Un changement nécessaire de vie

Se séparer des addictions doit en effet aller de pair avec un changement de mentalité dans l’existence.

Se confronter à la culpabilité, la vulnérabilité, la honte ne pas s’y identifier dans une complaisance inconsciente qui pousse à entretenir des comportements qui les renforcent et nous desservent.

Comprendre les situations qui nous ont mené là, déconstruire les schémas de pensée qui nous ont guidé, accueillir nos failles, nos imperfections, nos chagrins… pour, petit à petit, « se reconstruire », retrouver la fierté d’être soi, libre et responsable.

Abandonner son image de victime, de bourreau ou de sauveur, reconnaître sa part de responsabilité et se (re) découvrir...

Il faudra de la nouveauté car si l’on retourne exactement dans le même environnement, sans y apporter le moindre changement, l’abstinence risque d’être difficile à tenir. Il faut trouver ce dont on a pu rêver et qu’on n’a pas encore réalisé, et qui puisse provoquer un nouvel attrait. Un nouveau projet de vie, peut-être de nouvelles relations, des activités nourrissantes…

C’est un chemin long et ardu mais qui peut aussi amener à un sentiment de renaissance et à la joie.

« Se désintoxiquer, ce n’est pas guérir, c’est bouleverser ses relations sentimentales et sociales, (…) adopter un autre projet d’existence. » (A. Coppel & C. Bachmann, « Le dragon domestique »).

5. La part de la société

Il y a aussi le problème de la société qui nous fait croire que nous sommes des dieux. Descartes nous a incliné à penser qu’on pouvait devenir « maîtres et possesseurs de la nature ». Mais nous sommes des brins d’herbe parmi d’autres brins d’herbe. On voudrait être parfaits, mais ce n’est pas possible.

Nous sommes des humains et donc forcément des êtres imparfaits. On a bien sûr nos forces et nos beautés, mais aussi nos failles et nos noirceurs. Or la société capitaliste encense la compétitivité, la performance, la rapidité, la rentabilité, la réussite. Le bonheur devrait être la norme, et à base de possessions matérielles. Et si on n’y arrive pas, on s’en complexe. Mais ce n’est pas l’avoir ou l’apparence qui apporte le bonheur, c’est l’être et sa disposition d’esprit.

Le bonheur ne peut pas être un état stable. Seuls existent des moments de bonheur que nous ne saurions apprécier sans les autres émotions que sont la tristesse, la colère, la peur etc.

Comme disait ma mère, il faut cultiver plutôt l’humilité, l’humanité, l’humour.

Pour éviter les addictions, il faut nous affranchir des représentations qui nous ont formatés et oser exprimer notre créativité personnelle et collective.

6. Affronter les crises

Nous sommes des animaux humains. Comme les animaux, nous avons des automatismes existentiels qui fonctionnent bien quand tout va bien. Mais il arrive dans l’existence des crises, des virus par exemple, qui viennent nous signifier qu’il y a trop de déséquilibres, et qui veulent nous obliger à réagir.

Pour le psychanalyste Carl Jung: « La maladie est l’effort que fait la nature pour guérir l’homme. » Et pour le médecin et philosophe Georges Canguilhem: « La maladie n’est pas seulement déséquilibre ou dysharmonie, elle est aussi, et peut-être surtout, effort de la nature en l’homme pour obtenir un nouvel équilibre. La maladie est réaction généralisée à intention de guérison. L’organisme fait une maladie pour se guérir.(…) Le besoin de rétablir la continuité, pour mieux connaître afin de mieux agir, est tel qu’à la limite le concept de maladie s’évanouirait. » (Georges Canguilhem, « Le normal et le pathologique »)

Les récentes recherches sur le cerveau montrent que celui-ci a une plasticité étonnante. En osant nous risquer à vivre pleinement et autrement, dans le respect de la nature, humaine et terrestre, nous pouvons compter sur le cerveau comme un allié et développer cette plasticité à des fins plus joyeuses et justes que le projet capitaliste qui nous assujettit. J’ose espérer que nous aurons ainsi moins besoin de rechercher dans les addictions un sens à notre existence.

Nathalie Casabo interviewée par François Bassaget

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